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Le Chèvrefeuille

Traduction de Cordier Sarah, Roptin Camille, Perron Lucie

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1- Je souhaite vous raconter 

le lai que l’on appelle « Le chèvrefeuille »

pour que vous appreniez la vérité

sur comment il fut fait, de quoi il parle et d’où il vient. 

5- Plusieurs personnes m’ont raconté,

j’ai même trouvé par écrit 

l’histoire d’amour de Tristan et de la reine

qui fut tellement parfait

mais qui connut une douleur telle 

10- qu’ils en moururent en un jour.

Le roi Marc, en colère 

contre Tristan, son neveu,

le chassa de sa terre 

à cause de son amour pour la reine.

15- Tristan s’en retourna dans sa contrée,

en Galles, là où il était né.

Il y resta une année,
et, ne pouvant retourner en arrière,

il se laissa aller,

20- à la mort et à la destruction.

Ne vous en étonnez pas

car celui qui aime loyalement

a beaucoup de peine et d’inquiétude

quand il est loin de l’objet de ses pensées. 

25- Tristan est malheureux et pensif : 

c’est pourquoi il s’éloigna de son pays.

Il alla directement en Cornouailles, 

là où la reine demeurait. 

Il alla tout seul dans la forêt, 

30- car il ne voulait pas qu’on le vît.

Le soir il s’en allait 

quand il était temps de s’abriter.

Pour la nuit, il était hébergé

chez des paysans, des pauvres gens.

35- Il leur demanda

des nouvelles du roi.

Ceux-ci lui annoncèrent qu’il se disait

que les barons étaient convoqués

à Tintagel et qu’ils devaient s’y rendre. 

40- Le roi veut tenir une fête

qui réunirait tout le monde pour la Pentecôte

il y aura beaucoup de joies et de divertissements

et la reine y sera.

Tristan l’entendit et il s’en réjouit beaucoup,

45- elle ne pourrait pas s’y rendre 

sans qu’il ne la voit passer.

Le jour où le roi se déplaçait

Tristan revint dans le bois

sur le chemin dont il savait

50- que la compagnie emprunterait.

Il trancha par le milieu un morceau de coudrier 

qu’il coupa en quatre

quand il prit le bâton 

il y grava son nom avec son couteau.

55- Si la reine s’en apercevait 

car elle accordait une importance aux détails

elle reconnaîtra alors son ami

quand elle verra son bâton.

Autrefois cela lui était arrivé

60- elle l’avait déjà aperçu.

La teneur du message était la suivante : 

il l’avait averti et lui avait dit,

qu’à côté de la forêt

il attendait 

65 - pour épier et pour savoir

comment il pourrait la voir

car il ne pouvait vivre sans elle.

Ils étaient tous les deux

comme était le chèvrefeuille

70- qui s’accroche au coudrier : 

quand il est pris, enlacé,

et que tout autour du bois il s’est mis,

ils peuvent bien vivre longtemps ensemble ; 

Mais celui qui veut les séparer,

75- fait mourir le coudrier rapidement

et le chèvrefeuille en même temps. 

« Belle amie, il en va ainsi de nous

ni vous sans moi, ni moi sans vous ! »

La reine vint à cheval.

80- Elle regardait un peu devant,

elle aperçut bien le bâton

et prit connaissance de toutes les lettres.

Aux chevaliers qui la menaient 

et qui l’accompagnaient dans sa route

85- elle leur demanda à tous de s’arrêter : 

elle voulait descendre et se reposer.

On s'exécuta ainsi.

Elle s’en alla loin de sa garde ; 

appelant près d’elle sa servante

90- Brangien, qui était de très bonne foi.

Elle s’éloigna un peu du chemin.

Dans le bois, elle trouva celui

qu’elle aimait plus que tout au monde.

Entre eux, ce fut une explosion de joie.

95- Il lui parla tout à loisir,

et elle lui dit tout son plaisir ; 

Puis elle lui montra comment

se réconcilier avec le roi 

et à quel point elle avait été triste / cela lui était très pénible

100- qu’il eût été ainsi congédié,

par l'accusation qui avait été portée contre lui. 

Alors il du partir et quitter son ami

mais quand vint le moment de se séparer,

ils commencèrent à pleurer.

105- Tristan s’en retourna au pays de Galles,

en attendant d’être appelé par son oncle.

Pour la joie qu’il eut 

de voir son amie 

et pour ce qu’il en avait écrit,

110- avec ce que la reine a dit,

pour se souvenir des paroles, 

Tristan, qui savait bien jouer de la harpe, 

en a fait un nouveau lai. 

Je le nommerai brièvement :

115- on l’appelle en anglais, Goteleef,

les français le nomment chèvrefeuille. 

Je vous ai dit la vérité, 

du lai qu’ici je vous ai raconté.

Étude d'un passage : vers 68 à 78

Ils étaient tous les deux

                                                                comme était le chèvrefeuille                                                                  

qui s’accroche au coudrier :

quand il est pris, enlacé,

et que tout autour du bois il s’est mis,

ils peuvent bien vivre longtemps ensemble ;

Mais celui qui veut les séparer,

fait mourir le coudrier rapidement

et le chèvrefeuille en même temps.

  « Belle amie, il en va ainsi de nous :

 ni vous sans moi, ni moi sans vous ! »

Lexicologie :

→ altresi = adverbe quantitatif, indique l’équivalence entre deux termes

→ esteit = verbe estre (être) conjugué  à l’imparfait 

→ la coldre = le coudrier (autre nom pour le noisetier)

→ laciez = verbe enlacer conjugué au subjonctif présent. On retrouve dans ce mot la racine des mots « lacer », « lacet »... qui possède également le sens de lier, de nouer, de rapprocher deux éléments.

→ le fust = le bois

→ desevrer = verbe sevrer, qui veut dire séparer auquel on a ajouté la particule privative « de » qui à l’époque était utilisé pour renforcer le sens, l’impact d’un mot

→ ne… ne… = conjonction de coordination équivalent à « ni ». 

Dans ce passage, Marie de France utilise l’image du chèvrefeuille qui s’enroule autour d’une branche de coudrier pour parler de l’amour qui unit Tristan et Yseult. Cette plante donne son titre au lai, mais elle fait aussi référence à la fin tragique des amants qui, après être morts d’amour, furent enterrés côte-à-côte. On dit qu’un arbre aurait poussé juste au-dessus de leurs tombes, et qu’un grand chèvrefeuille se serait enroulé tout autour de ses branches, les unissant à jamais jusque dans la mort. 

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