Les deux amants
Traduction de Lou-Ann Le Rhun, Yuna Hamon, Léna Casini, Sabine Marc

Le père, si attaché à sa fille, ne veut la donner qu’à la condition que le prétendant réussisse l’épreuve qu’il a mis en place. La jeune fille, rêvant de liberté, tombe amoureuse d’un jeune homme qui, lui aussi, est prêt à tout pour vivre cette histoire d’amour. Dans ce lai plein de rebondissements, les deux amants affrontent les obstacles avec engouement et passion… Leurs forces seront-elles suffisantes pour vivre leur amour
Jadis il advint en Normandie
L’aventure très racontée
de deux enfants qui s’aimèrent
et qui moururent tout deux de cet amour.
Les Bretons en firent un lai
qui reçut le nom des Deux Amants.
Il est vrai qu’en Neüstrie,
que nous appelons Normandie,
il y a une très haute montagne :
là-haut gisent les deux enfants.
Près de cette montagne, en retrait,
le seigneur des Pitrois, qui était roi,
fit fonder une cité
avec une grande précaution
et la nomma Pitres
en l’honneur de ses habitants.
Le nom perdure encore
Et il y a toujours une ville et des maisons.
Nous savons bien dans la contrée
que la vallée est nommée Pitres.
Le roi avait une fille belle
qui était une très courtoise demoiselle
Il n’avait qu’une fille
qu’il aimait et chérissait beaucoup.
Elle était courtisée par de puissants hommes
qui l’auraient épousé avec plaisir ;
mais le roi ne voulait pas la donner en mariage
car il ne pouvait s’y résigner.
Le roi n’avait d’autre réconfort :
elle était près de lui nuit et jour ;
il était réconforté par la jeune fille
depuis qu’il avait perdu la reine.
Plusieurs dirent du mal de cette attitude
et même les siens l’en blâmèrent.
Quand il entendit qu’on en parlait,
il ressentit une douleur qui lui était fort désagréable.
Il commença donc à se demander
comment il pourrait s’en délivrer
et que plus personne ne demandât sa fille.
il en fut très content et l’en remercia,
puis demanda congé à son amie.
Il retourna dans sa contrée
et prépara à la hâte
de beaux vêtements et de l’argent,
des montures et des bagages.
Il amena avec lui
ses hommes les plus fidèles.
Il séjourna à Salerne
pour parler à la tante de son amie
et lui donna une lettre de sa part.
Quand elle l’eut lu entièrement,
elle le retint avec elle
pour tout savoir de lui.
Elle le rendit plus fort grâce à son remède.
Elle lui donna un breuvage si puissant,
que jamais il ne sera souffrant
malade ou accablé,
sans que son corps ne retrouve sa vigueur,
ainsi que ses veines et ses os,
et qu’il ait toute sa force
dès lors qu’il aura bu le remède,
Il mit le breuvage dans une fiole ;
puis le ramena dans son pays.
Quand il fut de retour chez lui,
le jeune homme joyeux,
ne séjourna pas en ses terres.
Il alla demander la fille du roi,
si ce dernier acceptait, il la prendrait dans ses bras
et la porterait en haut de la montagne.
Le roi ne refusa pas
mais le prit pour un fou,
car il était très jeune ;
et que de nombreux hommes vaillants et sages
avaient essayé cette épreuve,
et aucun n’avait abouti.
Il lui imposa un délai.
Il convoqua ses hommes et ses amis
et tout ceux qui pouvaient venir ;
en n’oubliant personne.
Ils vinrent de partout,
pour la fille du roi et le jeune homme
qui tentait l’épreuve
de la porter en haut de la montagne.
La demoiselle se prépara ;
elle se restregnit et jeûna
pour être plus légère,
car elle voulait aider son ami.
Le jour même, quand tous furent présents,
le jeune homme fut le premier arrivé ;
et n’oublia pas son breuvage.
Dans la prairie près de la Seine,
au sein des nobles rassemblés
le roi amena sa fille.
Elle ne portait que sa chemise.
Le jeune homme la prit entre ses bras.
Il lui confia
la fiole contenant son remède ;
(sachant qu’elle ne le décevrait pas)
mais je crains qu’il ne lui serve guère,
car il ne connaît pas la mesure.
Il s’en alla avec elle à grande allure
et gravit la montagne à demi.
Il fut si content de lui,
qu’il en oublia son remède ;
elle sentit qu’il faiblissait.
« Mon ami », dit-elle, « buvez donc!
Je sens bien que vous fatiguez.
Retrouvez donc votre force! »
Le jeune homme répondit :
« Ma belle, je sens mon coeur battre si fort !
Je ne m’arrêterai sous aucun prétexte
ni même pour boire,
tant que je peux encore faire trois pas.
Ces gens nous décrieraient
et de leur bruit m’étourdiraient ;
ils pourraient vite me troubler.
Je ne veux pas m’arrêter ici. »
Quand ils furent aux deux tiers,
il faillit tomber.
La jeune fille le supplia plusieurs fois :
« Mon ami, buvez votre breuvage ! »
Jamais il ne voulait l’entendre ni la croire.
Malgré la douleur, il continua le chemin.
Il arriva au sommet si blessé,
qu’il tomba là et ne se releva pas :
son cœur s’arrêta net dans sa poitrine.
La jeune fille vit son ami,
et pensa qu’il était évanoui.
Elle s’agenouilla auprès de lui,
et voulut lui donner son breuvage ;
Mais il ne put lui parler.
Il était mort, comme je vous l’ai dit.
Elle le plaignit en pleurant à chaudes larmes.
Puis elle jeta la fiole où était le breuvage
qui se répandit.
Le mont en fut recouvert
pour le plus grand bien
du pays et de la contrée.
Maintes bonnes plantes y ont trouvé racine,
grâce au breuvage.
Il faut que je vous parle de la demoiselle !
Puisqu’elle avait perdu son ami,
elle eut une douleur plus grande que jamais.
Elle s’étendit près de lui,
le prit et l’étreignit entre ses bras,
et lui baisa le visage et la bouche.
La douleur la toucha au cœur.
Ici mourut la demoiselle,
qui était si courageuse, sage et belle.
Le roi et ceux qui attendaient,
quand ils virent qu’ils ne revenaient pas,
allèrent les chercher, et les trouvèrent.
Le roi tomba à terre et s’évanouit.
Quand il put parler, il fut pris d’un grand deuil ;
et les autres firent de même.
Ils les laissèrent trois jours en haut du mont.
Ils firent amener des cercueils de marbre,
les deux enfants firent placés dedans.
Sous les conseils de certaines personnes
ils les enterrèrent sur la montagne,
avant de se séparer.
En raison de l’aventure des enfants,
on nomma la montagne le mont des deux amants.
Tout se passe comme je vous l’ai dit ;
et les Bretons en firent un lai.
v2 : mult = très, beaucoup (vient du latin multus, a,um qui veut dire nombreux, beaucoup)
oïe = verbe oïr au participe passé sous forme adjective = veut dire entendre mais ici traduit par raconter
v3 : dous = deux
entramerent = verbe composé de « entre » et « amer » qui signifie aimer. Donc cela veut dire s'aimer réciproquement
v4 : ambedui = tous deux
finerent = forme au passé simple de la troisième personne du pluriel de finer : finir, se terminer, mourir
v7 : veritez est = il est vrai
v8 : nus apelum = appeler au présent de l'indicatif à la première personne du pluriel
v9 : halt = séjour
merveilles = chose qui suscite l’étonnement, l’admiration. Chose incroyable, invraisemblable. Prodige, miracle
v10 : la sus = là-haut (là-dessus)
gisent = présent indicatif gesir à la troisième personne du pluriel = être couché
v11 : a une part = à l’écart, en retrait
v12 : cunseil = délibération intérieure, réflexion, décision, sagesse, conseil, avis, aide, secours
esguart = vue, jugement, délibération, attention, réflexion, regard.
v14 : esteit = verbe estre à l'imparfait : était
v15 : fist = verbe faire au passé simple
v17 : a puis = depuis
v19 : nus savum= verbe savoir au présent de l'indicatif à la première personne du pluriel
v20 : vals = vallon, vallées
v21 : ot = verbe avoir passé simple troisième personne du singulier
v22 : curteise = courtoise (adj)
v23 : fiz = fils
v24 : forment= fortement = adv / amout= verbe aimer à l'imparfait / cherisseit= verbe chérir à l'imparfait
v25 : riches = ici riches est un faux ami il se tradui par puissants
requise = courtisée, demandée
v26 : eüssent prise = subjonctif (eüsse, eüsses, eüst, eüssons, eüssez, eüssent)
v27 : volt = vouloir au passé simple à la troisième personne du singulier
v28 : poeit = pouvoir à l'imparfait / consirer = considérer, observer ou se priver, s'abstenir, se séparer, s'éloigner, se résigner
v29 : retur = refuge, réconfort
v31 : meschine = demoiselle, jeune fille de naissance noble, servante, concubine
v33 : atornerent = passé simple du verbe atorner (P6) : mettre quelqu’un dans tel ou tel état, accabler, maltraiter, préparer
v34 : li suen = les siens
v36 : dolenz = douleur / l'en pesa = être lourd, être pénible, être désagréable
v37 : purpenser = chercher par réflexion
v38 : purra= futur de pouvoir
v39 : quesist= chercher, désirer, demander
v40 : luinz=loin / manda = commander, ordonner, convoquer, envoyer, demander
v44 : fors = à côté
v48 : espandue = répandue
v49 : asaierent = essayer, mettre à l’épreuve quelqu’un ou quelque chose
v50 : espleitierent = exploiter au passé simple à la troisième personne du pluriel : agir avec énergie, accomplir, exécuter, se hâter, s'empresser, employer, user de, jouir de, réussir, saisir
→ voir analyse lexicologique
v54 : iloec = en ce lieu-ci
v57 : damisel = jeune homme noble qui n'est pas encore reçu chevalier
v58 : gent = noble, gentil, courtois, joli, beau
v60 : entremis = placer au mileu, s’occuper de, mêler
v61 : conversot = vivre avec, demeurer, fréquenter
v64 : meinte feiz= maintes fois / araisuna = s'adresser à quelqu'un, discourir, raconter, chercher à persuader, plaider, appeler en justice, accuser
v65 : otriast = donner son consentement, autoriser, être d'accord sur quelque chose, approuver, concéder, donner, octroyer
v66 : par druërie = amitié, affection, galanterie, intrigue amoureuse, plaisir amoureux, cadeau galant
v67 : pruz = preux
v68 : preisot = verbe priser, attacher de l’importance à quelqu’un ou quelque chose, estimer quelqu’un ou quelque chose
v70 : mercie = récompenser, remercier
v72 : leialment = loyalement
v73 : celerent= cacher / a lur poeir = le plus possible, le mieux possible, de son mieux
v75 : greva = accabler, tourmenter, nuire à, blâmer sévèrement, se donner de la peine, s'épuiser de fatigue
v76 : vaslez= valet, jeune homme qui n'est pas encore chevalier / se purpensa = penser, réfléchir, chercher par la réfléxion, projeter, former telle résolution, comploter, se rappeler
v77 : mielz = mieux
v78 : haster = presser, poursuivre, susciter / faillir= manquer, décevoir, finir, échouer
v79 : destreiz = ruiner, ravager, maltraiter, massacrer
v84 : Anguissusement = dans la souffrance, l’angoisse, avec violence, passion
v85 : od lui = avec lui
v86 : enui = peine, chagrin - voir l’analyse lexicologique
v95 : vertuus = courageux, fort
v97 : doel= douleur / ire = colère
v98 : martire = martyre, ravage, souffrance
v99 : chier = tomber
v100 : curucier = causer du tord à quelqu’un, l’affecter, l’affliger
v106 : phisike = science de la nature, art médical, médecine
v107 : saive = sauve / mescines = vertu guérissante, remède, enchantement
v108 : cunuist= connaître
v112 : cure = soin, souci, désir, charge, office
v113 : letuaires = sirop, sorte de médicament / durra = donner
v114 : beivres = breuvage / baillera = porter, posséder, recevoir, accepter, atteindre, attraper, empoigner, traiter, maltraiter, donner
v119 : enfant = jeune noble non encore adoubé chevalier
v120 : cuvenant = la condition, l’accord, la promesse
v125 : otriëz = accorder, donner, accepter, consentir
v126 : vaslez = jeune homme, garçon, jeune homme noble placé au service d’un seigneur
v127 : pucele = jeune fille, vierge, suivante, demoiselle de compagnie
v129 : liez = content, joyeux, heureux
v132 : hastivement = en hâte / aturnez = se préparer, préparer le voyage
v133 : dras = étoffes, tissus / deniers = argent
v134 : palefreiz = cheval d’apparat, utilisé pour la promenade, le voyage / sumiers = chevaux de somme
v135 : humes = hommes
v136 : danzels = jeune homme
v138 : l’ante = la tante, l’ancien français a donné le mot anglais « aunt »
v139 : duna = donner, remettre / brief = lettre
v140 : de chief en chief = de part et d’autre, entièrement
v145 : travailliez = idée de torture, de souffrance, de fatigue
v146 : ateinz = d’une personne : être touché, par une maladie, un défaut / chargiez = d’une personne : embarrassé, lourd, fatigué, accablé
v147 : refreschisse = remettre quelque chose en état, se rétablir, se remettre
v152 : vessel = fiole, contenant
v154 : ariere = estre ariere : être de retour / repairiez = retourner, revenir
v159 : escundist = refus
v161 : ceo qu’il ert de juefne eage = ce qu’il est de jeune âge
v163 : icel = cette
v164 : traire = traire a chef de quelqu’un ou quelque chose : venir à bout de, tendre à
v165 : terme = limite dans l’espace, délai / numé = nommé, donné
v168 : remaneir = verbe remanoir, rester (dans tel état ou telle situation), demeurer quelque part
v174 : se destreinst = se restreindre/ jeüna = jeûner
v179 : mie = négation, pas
v183 : fors = à part, excepté
v187 : li baille = saisir, attraper, prendre un médicament
v188 : criem = craindre à la première personne du singulier
v193 : membra = qui vient de « remembrance » et qui veut dire se rappeler
v194 : alassa = lâcher, débrider, relâcher, délivrer, soulager, affaiblir
v200 : fuer = prix
v204 : noise = bruit
v208 : chiet = tomber
v217 : en pasmeisuns = pâmoison = tomber évanoui
v226 : amendez = réparer une faute, aider, s’améliorer
v243 : demeine = mener avec force, exercer, gouverner, remuer, agiter, manifester un sentiment, traiter, conduire, secouer, maltraiter
v244 : foreine = étranger, a donné foreigner
v246 : Sarcu = cercueil
v250 : departirent = partager, diviser, séparer
Étude d'un passage : vers 84 à 91
Il lui demanda avec grande crainte
de s’en aller avec lui
car il ne pouvait davantage supporter ce chagrin.
Si le jeune homme la demandait à son père
il savait bien que ce dernier l’aimait tant
qu’il ne la lui donnerait pas,
à moins qu’il ne pût la porter
entre ses bras jusqu’en haut de la montagne.
v1 :
-
voir analyse lexicologique de «anguissussement »
-
«li» est traduit par «le». Il s’agit d’un pronom qui a pour fonction d’être COI dans la phrase
-
voir analyse lexicologique pour «requerir» / «requist» est un verbe conjugué au passé simple de l’indicatif à la troisième personne du singulier
v2:
-
«alast» est le verbe «aller» conjugué à l’imparfait du subjonctif à la troisième personne du singulier
-
«od lui» : avec lui
v3:
-
négation «ne» : en ancien français, l’adverbe de négation «ne» suffit à négativer le verbe mais il peut être complété par une particule corrélative qui renforce la négation. Souvent il s’agit d’un substantif qui exprime l’idée d’une quantité minime comme «pas» qui indique un mouvement ou «mie» pour la nourriture. Il peut aussi être renforcé par des adverbes comme c’est le cas ici avec «mes».
-
«poeit» est le verbe «pouvoir» conjugué à l’imparfait de l’indicatif à la troisième personne du singulier
-
«mes» veut dire «mais» mais vient du latin «magis» qui veut dire «davantage» donc on le traduit ici par «davantage»
-
voir l’analyse lexicologique de «enui»
v4:
-
«S’» est l’adverbe de condition «Si»
-
«père» est dans cette forme car c’est un cas régime singulier car c’est un COI. Il faut savoir que l’ancien français possède des déclinaisons qui viennent du latin mais l’ancien français n’en a gardé que 2 : le cas sujet et le cas régime. En français, aujourd’hui, nous n’avons gardé que le cas régime des déclinaisons de l’ancien français.
-
«demandot» est le verbe «demander» à l’imparfait de l’indicatif à la troisième personne du singulier
v5:
-
«saveit» est le verbe «savoir» conjugué à l’imparfait de l’indicatif à la troisième personne du singulier
-
«amot» est le verbe «aimer» conjugué à l’imparfait de l’indicatif à la troisième personne du singulier
v6:
-
«pas ne» Ici, la négation est constituée de «ne» et du substantif «pas».
-
«voldreit» est le verbe «vouloir» conjugué au conditionnel présent à la troisième personne du singulier
v7:
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«se» est une conjonction introduisant la condition «si». ATTENTION «si» en ancien français veut dire «ainsi»
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«ne» négation
-
«peüst» est le verbe «pouvoir» conjugué au subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier
v8:
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«ses braz» est au cas régime pluriel car c’est un complément de lieu.
-
«sum» vient du latin «summum» qui signifie le plus haut. Ici, il s’agit d’un nom et on traduit par le sommet.
-
«le munt» le déterminant est un article défini au cas régime singulier d’où sa forme, il est actualisé par le contexte. Il se décline en ancien français. Pour le cas sujet singulier, c’est «li» pour le cas sujet pluriel c’est «li», pour le cas régime singulier c’est «le» et pour le cas régime pluriel c’est «les».
Lexicographie
Le terme «Requerir» apparaît au vers 25 dans l’expression «fu requise», traduit dans le texte par «était courtisée». Le terme requerir vient du latin «quaerere» qui signifie chercher, demander, questionner. Au XIVe siècle, en ancien français, le mot évolue pour prendre la forme «requérir» (pouvant s’écrire différemment ; on retrouve les formes de requerre, requerere) ajoutant la syllabe -re au verbe initial ce qui donne le sens de chercher, désirer, demander. Il apparaît pour la première fois en 1324 dans l’œuvre Les Mélancolies Dupin. En moyen français il conserve la même signification mais on peut tout de même ajouter un sens supplémentaire : celui de rechercher quelqu’un ou quelque chose. Aujourd’hui le verbe quérir apparaît en espagnol sous la forme «querer» qui signifie vouloir ou aimer. Ils ont tous deux la même origine latine. En français, le verbe quérir s’emploie très rarement et ne s’emploie plus qu’à l’infinitif, dans un style littéraire ou volontairement archaïque, avec les verbes aller, venir, envoyer, faire : aller quérir le médecin ; envoyer quérir des nouvelles.
«Araisoner» apparaît au vers 64 sous la forme «araisuna» traduit dans le texte en français par «pria». Le mot «araisoner» qui possède également la forme «araisnier» vient du mot en bas latin «arratiocinare». Cette origine, ainsi que le fait qu’il soit dérivé du mot «raison» explique la double forme du mot. Il peut avoir plusieurs sens en ancien français comme, s’adresser à quelqu’un, discourir, chercher à persuader, appeler en justice, accuser. Il apparaît pour la première fois dans le sens d’adresser la parole à quelqu’un dans la Chanson de Roland au XIe siècle. Il a aujourd’hui un sens (très) vieilli voulant dire, chercher à persuader quelqu’un d’adopter un avis, conservant donc une partie de son sens originel. Il peut également être utilisé dans un sens maritime, «arraisonner un navire» exprimant l’idée d’arrêter un navire pour procéder à des contrôles.
Le terme «Druerie» apparaît la première fois dans le texte au vers 66 sous la forme «par Druerie». Au XI ème siècle, le mot Druerie vient du gaulois «Druto» qui signifie fort et vigoureux. Il évolue au XIVe siècle et désigne l’amitié, l’affection, la galanterie, l’intrigue amoureuse, le plaisir amoureux, le cadeau galant et conserve ce sens en moyen français. Cette définition apparaît pour la première fois en ancien français dans Le Chevalier au cygne (1356) sous la forme de «Lors baisa les enfans par grante druerie». Dans les œuvres du XIVe siècle, la forme «druerie» revient souvent pour désigner le cadeau galant. Ce dernier était un présent tel qu’un anneau ou un peigne qu’on offrait à l’être aimé. Aujourd’hui, le terme druerie a complètement disparu de l’utilisation quotidienne et ce, même dans les expressions.
«Anguissussement» est sous sa forme adverbiale dans le texte. «angoisser» vient du mot latin «angustia» qui veut dire étroitesse, mais aussi du verbe «angustiare» qui signifie «mettre dans l’embarras». «Angoisser» apparaît en 1080 dans La chanson de Roland et veut alors dire serrer de près, tourmenter. Le substantif apparaît pour la première fois chez Chrétien de Troyes en 1175 et désigne lui un lieu resserré, l’étroitesse comme en latin, mais on retrouve aussi l’idée de tourment apparut peu de temps avant. L’adjectif « angoissable» existe aussi et veut dire «douloureux», «dangereux», «plein d’angoisse». Ainsi, aujourd’hui, l’angoisse est le sentiment de danger, d’inquiétude qui habite quelqu’un. De manière figurée, on retrouve la notion d’étroitesse qui marque une certaine oppression, un tourment.
«Enui» apparaît au vers 86 sous la forme «l’enui», traduit en français dans le texte par «chagrin». Le mot «enui» pouvant aussi s’écrire avec un «a», vient du mot latin «inodiare» formé d’après l’expression «in odio esse» signifiant être un objet de haine. Il apparaît en ancien français au XIIe siècle voulant dire en premier lieu le tourment, puis la tristesse, le chagrin, la peine et le dégoût, pour ensuite par affaiblissement exprimer la lassitude d’esprit et le manque de goût, de plaisir. Il manifeste aujourd’hui la peine éprouvée par une contrariété, la contrariété elle-même ou la lassitude morale conservant ainsi une partie de son sens originel.
L’expression «de chief en chief» apparaît au vers 140 : «quant el l’ot lit de chief en chief» et signifie ici entièrement, de part et d’autre (on traduit le vers par : quant elle l’eut lu entièrement). Le mot «chief» vient du latin «caput» qui désigne la tête. L’expression est composée du terme «chief» qui désigne donc d’abord la tête, au sens propre, comme partie du corps. Cette signification apparaît en 1350 et se développe rapidement sous de nombreuses expressions et significations diverses. On trouve par exemple l’expression «en chef» dès 1400 qui désigne la «tête nue». La locution «de chief en chief» apparaît en 1392 dans le roman Mélusine de Jean d’Arras. Le mot se revêt de sens métaphoriques, chronologiques, figurés ou encore analogiques. Le sens analogique «d’importance à propos d’une personne» donnera le sens que nous connaissons aujourd’hui au mot «chef» à savoir «l’instigateur, le responsable, celui qui est à la tête d’un groupe, qui en ordonne l’action».
«Meschine» apparaît dans le lai des deux amants au vers 208 : «sovent li prie la meschine» et signifie ici «jeune fille». En ancien français, le terme désigne principalement la jeune fille mais peut aussi se rapporter à la servante, à la maîtresse ou à la concubine. La signification «servante» voit le jour dans Le Pèlerinage de la vie humaine de Guillaume de Digulleville publié entre 1330 et 1331. On trouve les premières occurrences du terme avec pour signification «jeune fille» dans le roman anonyme écrit en prose Berinus publié entre 1350 et 1370. Enfin, la signification «maitresse, concubine» apparaît dans le texte anonyme Miracle de un chanoine qui se maria daté de 1361. «Meschine» apparaît au XIVe siècle alors que l’ancien français dispose déjà du terme «pucele» pour désigner la jeune servante ou la jeune fille. Il est emprunté à l’arabe «miskin» qui signifie «humble, pauvre». Le doublet, n’apportant pas de nuance particulière au sens du mot, disparaît rapidement : il est répertorié dans des textes jusqu’au début du XVIe siècle uniquement. La forme du mot se retrouve aujourd’hui dans «mesquin» qui vient de l’italien «meschino» (avare), emprunté lui-même de l’arabe.
«Esploitier» est un mot qui vient du mot latin «explicitare» qui veut dire «accomplir». Au XIIe siècle, en ancien français, le mot a le sens d’accomplissement avec des traductions comme «accomplir» mais aussi «réussir», «agir avec énergie». On trouve également le mot «esploit» qui signifie «l’action menée à bien», «action d’éclat de guerre» mais ce substantif a aussi le sens de «rente» «revenu» «profit». Le substantif «exploite» est plus spécialisée dans la signification «d’avantage» et de «profit». L’adjectif «esploitable» quant à lui signifie «profitable». Ainsi, on voit que l’accomplissement d’un fait glisse vers le sens de profit d’un bien. Aujourd’hui, «exploiter» n’a plus le sens d’accomplir une grande chose mais signifie le fait de faire valoir un bien, le rendre productif de manière à en tirer profit. De même, «l’exploitation» est un bien que l’on cultive pour en recevoir une compensation matérielle.